Le Fab Lab, fabrique à questions juridiques compliquées

Dans un Fab Lab, on se heurte à toutes les questions juridiques liées à la fabrication numérique : copie de fichiers soumis au droit d’auteur, contrefaçon… Qui plus est, la charte est assez floue sur le sujet.

Le droit, ça me passait complètement au-dessus de la tête, lance Matthieu, médiateur au Carrefour Numérique². C’était avant la formation de l’équipe au métier de fab manager, qui a rappelé que cette question se pose bien souvent dans un Fab Lab. Elle est d’autant plus complexe dans un tel lieu que les objets créés englobent des domaines très variés, et concerne aussi bien le matériel que le logiciel, et donc des régimes juridiques différents.

Une demi journée de la formation a été consacrée à cet aspect, en commençant par analyser la charte du MIT que les Fab Labs doivent respecter. Elle est assez ambiguë, ménageant la chèvre du partage et le chou du business. L’ouverture est une des valeurs-piliers de ces lieux :

Mission : les Fab Labs sont un réseau mondial de laboratoires locaux, qui rendent possible l’invention en ouvrant aux individus l’accès à des outils de fabrication numérique.

Éducation : la formation dans le Fab Lab s’appuie sur des projets et l’apprentissage par les pairs ; vous devez prendre part à la capitalisation des connaissances à et à l’instruction des autres utilisateurs.

Pour autant, le partage n’est pas assuré à 100% :

Secret : les concepts et les processus développés dans les Fab Labs doivent demeurer utilisables à titre individuel. En revanche, vous pouvez les protéger de la manière qui vous choisirez.

Business : des activités commerciales peuvent être incubées dans les Fab Labs, mais elles ne doivent pas faire obstacle à l’accès ouvert. Elles doivent se développer au-delà du lab plutôt qu’en son sein et de bénéficier à leur tour aux inventeurs, aux labs et aux réseaux qui ont contribué à leur succès.

Cette charte ressemble à une sorte de clause non commerciale, explique Lionel Maurel, aka Calimaq, juriste et blogueur, mais en plus restrictif encore (usage individuel) et elle permet la réappropriation exclusive. C’est un peu comme si l’Open Source se limitait à la possibilité d’accéder et d’étudier le code, mais à rien d’autre. Cela me semble assez fermé quand même et un peu en retrait par rapport à l’idée que l’on peut se faire d’un Fab Lab. Bien entendu, ce cadre général n’empêche pas les utilisateur·trice·s de choisir des licences beaucoup plus permissives.

Dans la pratique, les Fab Labs restent très flous. L’équipe l’a constaté en cherchant sur les sites de plusieurs dizaines de Fab Labs le choix des licences de documentation : elles ne sont pas précisées dans la majeure partie des cas, c’est donc par défaut la bonne vieille propriété intellectuelle qui s’applique. Car les textes scientifiques ou utilitaires sont protégeables, contrairement aux recettes de cuisine par exemple.

Respecter le cadre sans fliquer

Le fait que le lieu soit ouvert au public et organise régulièrement des événements impliquant de la création collaborative complexifie encore le problème. L’enjeu est de trouver un modus vivendi pour respecter le cadre légal sans « fliquer » chaque utilisateur·trice : il est difficilement envisageable de vérifier que chaque personne est bien autorisée à utiliser tel fichier avec l’imprimante 3D, un nœud juridique particulièrement inextricable. En effet, si un·e usager·e imprime par exemple une figurine sans avoir les droits, le Fab Lab peut être reconnu coupable de complicité de contrefaçon. La solution passera par des conditions d’utilisations précisant la charte à faire signer par celles et ceux qui utilisent des outils, et des règlements pour les participant·e·s aux événements.

La documentation sera placée sous licence libre. Si l’équipe a une sensibilité au libre, accueillant déjà des événements récurrents par exemple, elle ne peut pas prendre position auprès du public. En revanche, il est possible de poursuivre le travail de pédagogie. Elle pourra guider dans le choix des licences en renvoyant vers des outils comme Choose a licence par exemple, pour le logiciel. Les licences du matériel posent davantage problème car l’open hardware est une communauté encore en construction. Le terrain n’est pas donc pas aussi balisé même si on trouve déjà des articles sur le sujet, par exemple sur Kiss Kiss Bank Bank ou sur Rue89.

En ce mois de lancement du Fab Lab, l’équipe ne cauchemarde pas en se voyant envoyée en prison pour complicité de contrefaçon parce qu’un utilisateur a reproduit des figurines de Tintin : l’heure est déjà à l’accueil des premiers usagers sur inscription, ou en groupe, un petit flux facile à encadrer.

Sabine Blanc

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