Essayer et rater, l’apprentissage par le « faire » au Fab Lab

Entrer la première fois dans un Fab Lab a de quoi perturber. On y croise des gens étranges qui vous parlent de logiciel libre et le va-et-vient incessant de la découpeuse laser ou de l’imprimante 3D intrigue l’œil curieux.

Mais les outils et les usager·e·s ne sont pas les seuls éléments qui déstabilisent les visiteur·se·s. En effet, le Fab Lab reste un espace d’expérimentation, de test et parfois d’errance créative pouvant mener bien loin de l’objectif que l’on s’était fixé. Autrement dit, le Fab Lab est un endroit où la non réussite d’un objectif n’est pas forcément le synonyme d’échec ! Pour comprendre cette manière de voir l’apprentissage, il faut d’abord se pencher sur les méthodes pédagogiques classiques. Dans le système scolaire classique, les méthodes d’apprentissage sont plus ou moins basées sur la même logique : viser un objectif précis, prendre connaissance d’une méthode, l’appliquer et évaluer à la fin de l’apprentissage si cette dernière peut être restituée. Si cette transmission verticale qui remonte au XIXe siècle et qui va d’un·e professeur·e à l’élève reste majoritaire, les Fab Labs, et, dans une plus large mesure, l’environnement numérique, mettent en avant un mode d’apprentissage bien différent, basé sur le cycle d’essais et d’erreurs. Cette façon d’apprendre se retrouve notamment en science informatique : « generate and test » (génère et teste) ou bien dans les jeux vidéo sous la forme des « die and retry » (meurt et réessaye).

Partir de la machine

Dans un Fab Lab, le point de départ reste les outils présents et ce qu’on peut faire avec. On est donc bien loin d’une logique d’apprentissage classique et c’est souvent ce qui déstabilise le plus le jeune public qui vient passer du temps ici. Le public jeune qui vient nous voir au Carrefour numérique² est composé d’étudiant·e·s en design ou de jeunes en réinsertion sociale ou professionnelle, explique Olivier Servais, médiateur du Carrefour numérique², en charge des résidences de classes et groupes de jeunes au Fab Lab depuis deux ans. Les premier·e·s ont l’habitude d’avoir un sentier d’apprentissage balisé tandis que les second·e·s sont réticent·e·s aux rapports dominant·e-dominé·e qui se mettent en place entre un·e professeur·e et un·e élève. Dans les deux cas, on fixe toujours un objectif à atteindre mais l’idée est toujours de partir de ce qu’on peut faire avec la machine et pas vraiment d’apprendre une technique en particulier.

Pour les étudiant·e·s en design, la plupart n’ont pas à se préoccuper du « faire » puisqu’ils ont habituellement des professionnel·le·s pouvant faire fonctionner les machines pour eux. C’était perturbant et galvanisant car il·elle·s avançaient vers l’inconnu à une vitesse qu’il·elle·s maîtrisaient, précise Olivier qui décrit comment ces étudiant·e·s ont essayé de découper une matière céramique dans une découpeuse laser et se sont retrouvé·e·s avec de la matière vitrifiée.

Quand le hasard fait bien les choses

Pour le public provenant de l’APSV (Association de prévention de la Villette), une association qui s’occupe de jeunes en réinsertion sociale ou professionnelle, l’objectif est avant tout de leur redonner une certaine confiance en elle·eux mais aussi d’appréhender le Fab Lab comme un lieu où il est possible de réaliser des projets sans contrainte de réussite absolue. De plus, cette posture pédagogique a l’avantage de laisser la place aux découvertes heureuses et permet d’explorer des possibilités que l’on n’avait pas prévues au départ, sans culpabilité. C’est un peu comme pour la musique électronique, indique Olivier. 80% des morceaux vraiment innovants sont trouvés par accident, en testant des choses ou en se trompant sur une manipulation. Pour certains publics qui sont en manque de confiance, trouver un résultat, même inattendu, à la fin de l’expérimentation, est bien moins difficile à gérer qu’un échec supplémentaire. Enfin, cette façon de faire oblige les utilisateur·trice·s à estimer le temps qu’ils vont passer sur un projet et à déterminer à l’avance si cet investissement vaut le coup. Étant donné que l’usage du Fab Lab est lui aussi lié à une contrainte de temps d’utilisation des machines qui est partagé, les utilisateur·trice·s sont donc mis face à une certaine responsabilité.

L’essai-erreur, bon pour tout ?

Reste à savoir si cette méthode a une place en dehors du Fab Lab. Certaines écoles comme 42, fondée par Xavier Niel, utilisent les cycles d’essais-erreurs dans sa fameuse épreuve de sélection appelée « la piscine ». Dans ce cadre, c’est la débrouillardise et parfois l’entraide qui permet aux élèves de se démarquer. Mais Olivier rappelle que ce type de fonctionnement peut aussi provoquer beaucoup de frustration notamment quand il demande à remplir un objectif bien précis. Je pense que le meilleur cadre pour utiliser l’apprentissage par le faire, c’est la réparation d’objets, conclut-il. On le voit bien pendant les sessions de Repair café (café réparation). Les utilisateurs ouvrent leurs objets, sans rien attendre de particulier, apprennent comment ils fonctionnent et avec l’aide des autres, tentent de trouver la panne. Même si l’objet n’est pas réparable, on aura appris des trucs. Et si on le remet sur pied, alors la satisfaction sera d’autant plus grande.

David-Julien Rahmil
Photos : N. Breton – EPPDCSI et V. Besnard – EPPDCSI

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