Une aventure au coeur du Gameplay [4/6]
Précédemment : NIVEAU 1 – salle 2 : de nouvelles formes d’interaction. NIVEAU 2 : l’après-midiSalle 3 : la boucle de gameplay dans le game design
Énergie reboostée, doigts reposés, attention rechargée : je me trouve fin prêt pour cette étape cruciale du donjon, l’entrée au deuxième niveau qui par tradition intègre une utilisation plus avancée des techniques mises en évidence dans le premier niveau. Plus que la communication, Emmanuel Guardiola s’intéresse ici précisément à la boucle du gameplay, en considérant à la fois la logique mécanique du jeu et son exploitation par les joueur·se·s.
L’exemple de Super-Mario parle sûrement au plus grand nombre. Dans ce jeu, on passe notre temps à nous déplacer, nous arrêter, sauter… C’est un gameplay propre au jeu, qui saute aux yeux : toutes ces actions sont provoquées par la personne et concrétisées visuellement dans le jeu. Mais quand Mario est sur une plateforme mobile au-dessus d’une coulée de lave avec une boule de feu qui surgit régulièrement entre lui et le bord à atteindre, il ne suffit pas de se déplacer, s’arrêter et sauter pour y parvenir. Il y a une fenêtre de saut possible, avec certains moments et certaines positions à éviter. Pour passer l’obstacle, on doit non seulement actionner la combinaison de commandes nécessaires, mais aussi analyser la situation pour évaluer la fenêtre de saut envisagée. Identifier les ennemis, choisir les cibles, anticiper son action : toutes ces activités font aussi partie intégrante du gameplay, bien qu’elles restent invisibles à l’écran. Emmanuel quitte alors le domaine du théorique pour passer à un exemple plus concret. Il a participé au développement du gameplay du jeu Blue Estate, l’adaptation de la BD du même nom au gameplay innovant, puisque le jeu utilise le leap motion, une technologie qui repère la position de la main dans l’espace.
Dans ce jeu, plusieurs ennemi·e·s peuvent apparaître au même moment, mais on ne peut pas tous les atteindre en même temps : on doit donc choisir sa cible. Le jeu fournit plein d’informations périphériques : taux de vie, distance, précision, munitions restantes, type d’arme, défense… Avec autant d’informations, aucun choix n’est trivial. On peut alors créer du gameplay en rendant ce choix plus ou moins difficile par la profusion d’informations et les contraintes du jeu. L’appréhension de la nouvelle interface qu’est le leap motion a exigé de nombreux tests pour élaborer les commandes possibles pour le jeu. Si celles du tir et du déplacement étaient assez intuitives, il a été plus compliqué de trouver quel geste serait le plus intéressant pour l’action « s’accroupir », pour finalement choisir celui de la main plate. Les phases de tests de joueur·se·s ont aussi permis aux développeur·se·s de réaliser que plusieurs personnes avaient mal à la main à long terme : le gameplay a alors été adapté pour que la personne sache à quels moments elle pouvait reposer son poignet pour limiter l’effort. Pour la majorité des développeur·se·s, les phases de test sont fondamentales. Le jeu peut très bien avoir été élaboré avec un gameplay complexe et finement achevé, c’est l’expérience des joueur·se·s et leur capacité à s’emparer du système de jeu qui ont le dernier mot sur sa qualité. Je m’amuse de plus en plus dans ce donjon, où tous les éléments abordés précédemment commencent à prendre place les uns par rapport aux autres et à constituer un modèle du concept de gameplay un peu plus cohérent. Dans cette troisième salle, on est contraint de réunir les deux éléments que sont la mécanique du jeu et la communication des joueur·se·s avec la machine : le gameplay ne saurait s’expliquer en prenant ces deux domaines indépendamment. Au travers des milliers de caractères tweetés – ou effacés faute de tweetabilité – je comprends la danse qui rythme les études de ces valeureux chercheurs en jeux-vidéos. Pensant détenir les clés pour relever avec succès la dernière épreuve, je me dirige, plus déterminé que jamais, vers la salle suivante, qui devrait donner la touche finale à notre investigation au cœur du gameplay. La suite : NIVEAU 2 – Salle 4 : gameplay et interaction joueur·se-jeu. Geoffrey Guérinot |