Médiateur au Carrefour Numérique², Thierry Thibault est chargé en particulier d’évaluer l’offre du Fab Lab et du Living Lab. Méthodologie, échelle d’Osgood, récence, dépouillage et rapport, il nous explique comment il fait ce travail parfois ingrat (ahhh, déchiffrer les écritures patte de mouche… ) mais nécessaire pour adapter les offres.
Après un événement au Carrefour Numérique², il y a le côté sympa, genre boire une bière entre collègues. Et puis il y a un travail un peu moins drôle, mais bien utile : dépouiller les questionnaires d’évaluation et en faire une synthèse dodue, une tâche assurée par Thierry Thibault. Comme les autres centres de science du consortium Inmediats, lauréat de l’appel à projet grand emprunt numérique, le Carrefour Numérique² doit remplir des objectifs en termes de public atteint. Le combo idéal, c’est la bachelière de ZEP car l’équipe vise 40% issus de ces trois catégories :
- les jeunes de 15 à 25 ans, alors qu’ils ne sont que 20% en moyenne du public des centres de sciences ;
- les femmes, qui ne sont pas assez présentes dans les filières scientifiques, en particulier les sciences dures ;
- le « public éloigné des sciences et techniques », c’est-à-dire celles et ceux qui ne vont pas spontanément dans un centre de science pour des questions de capital culturel (point Bourdieu).
Il faut à la fois savoir ce qui intéresse ces personnes et interroger tout le monde , résume Thierry, le Graal étant une animation qui satisfasse 100% du public.
L’évaluation systématique fait partie des nouvelles missions des centres de sciences d’Inmediats. Si certain·e·s de ses collègues la découvrent, Thierry est déjà rodé, entre ses études de psychologie cognitive et les évaluations qu’il effectuait lors de son travail précédent au laboratoire LUTIN UserLab.
Les feuilles que les visiteur·se·s remplissent ont deux destinataires : la hiérarchie, qui voit ainsi si le Carrefour Numérique² est dans les clous et l’équipe qui s’appuie dessus afin d’améliorer le programme (ou se congratuler si tout le monde est content). Le Carrefour Numérique² propose aussi d’accompagner les utilisateurs·trice·s qui viennent au Living Lab sur cet aspect, car tous ne sont pas des chercheur·se·s déjà autonomes en la matière. J’aimerais dresser une liste d’outils pour qu’ils s’évaluent eux-mêmes , explique Thierry.
Questionnaires à la volée, à remplir en cinq minutes
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, trop de questionnaires remplis tuent le questionnaire, et Thierry et ses collègues qui s’écorchent les yeux sur des écritures pas toujours très lisibles. C’est la loi des grands nombres : on obtient un résultat moyen. Au-delà d’une personne sur 10 qui répond, c’est trop . Bien sûr, il ne faut pas non plus qu’il y ait trop peu de retours, sinon les réponses ne sont pas représentatives. De même, il évite les questionnaires de trois pages, rébarbatifs : un recto-verso maximum, complété en cinq minutes et basta ! Les feuilles sont placées en différents endroits, à la volée, prend qui veut.
Si certains critères sont faciles à évaluer – la tranche d’âge, le genre -, la notion de « public éloigné » est beaucoup plus difficile à quantifier. Je m’interdis de demander s’ils viennent de ZEP ou s’ils sont CSP + ou -, précise Thierry. C’est délicat à manier, il faudrait des entretiens plus approfondis . Il est possible d’avoir une idée à travers le niveau d’études, leur domaine, l’activité, le code postal.
Une partie des questions est standard – comment avez-vous découvert l’événement, l’année de naissance, etc. – et une moitié, celle destinée à l’usage interne, est adaptée. Thierry utilise par exemple l’échelle d’Osgood : elle est constituée de deux termes antonymes, séparés par une demi-douzaine de degrés et le visiteur évalue l’animation en plaçant le curseur. Par exemple :
Le chocolat, c’est :
Primordial I————I————I————I————I————I————I————I Sans importance
Le terme hackathon n’était pas judicieux
Le dépouillement donne parfois lieu à des surprises. Par exemple, les visiteur·se·s du hackathon interdisciplinaire Nao ont surtout apprécié l’ambiance et non les robots, un point mesuré avec la question « comment résumeriez-vous l’événement à un proche ». Les gens notent ce qui les a le plus marqués, c’est ce qu’on appelle l’effet de récence. On aurait peut-être eu le même résultat avec une animation autour des betteraves, le thème a été occulté , note Thierry. Il a aussi permis de valider une impression ressentie sur place : le terme hackathon n’était pas judicieux : il n’est pas lisible, ne donnait pas envie, poursuit-il. C’est trop technique, hacker est mal connoté encore. Il y a eu une petite déception sur le manque d’activités sur place.
La parité était aussi respectée, alors que d’habitude la Cité des sciences accueille plus de femmes, environ 58% : et oui, mais elles ne travaillent pas forcément dans les sciences, beaucoup accompagnent leurs marmots, ce qui incite l’établissement à travailler sur la parité homme-femme.
Le choix de ne pas faire de compétition a été un point positif, apprécié du public et des participant·e·s, un esprit de saine rivalité dominait : les équipes se filaient des coups de main, renvoyaient le public vers les participant·e·s qui leur semblaient plus compétent·e·s sur certaines questions.
Si le hackathon a plu à tout le monde, les résultats sont décevants concernant le public recherché : s’il y avait un tiers de 15-25, le public « éloigné » n’est pas venu, on n’en comptait aucun·e· dans les équipes. Un point à mettre en relation peut-être avec le choix du mot « hackathon » qui parle surtout aux développeur·se·s. Pourtant, il ne fallait pas savoir coder, juste avoir une sensibilité au sujet, l’interface graphique est simple à utiliser , regrette Thierry. Rendez-vous au prochain hackathon pour voir comment le Carrefour Numérique² a digéré les critiques pour affiner la formule.
Sabine Blanc
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