Journée d’étude : Arts numériques

Une journée d’études sur les arts numériques s’est déroulée le mardi 16 juin 2015 au Carrefour Numérique². Portée par le Labex ICCA et avec notre soutien, elle avait pour objectif de confronter les points de vue et les expériences d’artiste, d’institutions publiques, de galeristes sur la question de la reconnaissance et des enjeux économiques de l’art numérique.

Organisée en quatre temps, cette journée a bordé les questions d’autoproduction, de diffusion, d’exposition et de collection. Pour l’occasion, Barbara Govin, illustratrice et graphiste, a croqué ces échanges afin de retranscrire leurs contenus de manière ludique. En voici le récit.

L’art numérique et ses acteur·trice·s : artistes et créations

Parler d’art sans artiste serait un contre sens ; pour l’occasion quatre artistes, Thierry Fournier, Jacques Perconte, Guillaume Leroux et Florent Aziosmanoff, se sont prêtés au jeu. Ils ont pris la parole pour parler de leur travail, de leurs recherches, de ce qui les anime et des moyens mis en place pour créer et diffuser leurs œuvres.

Abordant tour à tour leur médium et leur sujet de recherche, il ressort que la plupart d’entre eux autoproduisent leur travail ou collaborent avec des entreprises de coproduction.

Thierry Fournier, artiste et commissaire d’exposition, nous a parlé de ses recherches sur l’altérité et l’interaction entre les individus au travers de la technique. Pour réaliser certaines de ses œuvres, il utilise la matière numérique : le flux. Il part du constat que l’intimité se livre désormais sur Internet. L’artiste fouille et remixe cette matière pour offrir aux spectateurs des œuvres empreintes de leur temps pour lesquelles on ne donne pas d’explication. Elles se donnent à voir simplement et prennent corps dans l’interaction. Pour lui, le travail de l’art est une question de liberté, de position critique et d’émancipation vis-à-vis de la technique.

Le deuxième artiste à prendre la parole est Jacques Perconte. Il aborde également la question de la technique comme matière. Entre contextualisation de l’art numérique et histoire de l’art, il nous a retracé son parcours. Dans les années 90, il « tombe » dans la culture Internet. Son cheminement l’amène à travailler la vidéo comme médium. Il retravaille ensuite ces images en les compressant pour dévoiler une matière vivante. Cette nouvelle pratique introduit de nombreuses questions comme celle de la place de l’artiste ou le terme qui la définit. Son travail s’inscrit dans le champ du cinéma expérimental. En 2006, le terme d’art numérique apparaît. Depuis, ce terme est de moins en moins utilisé car le numérique fait partie intégrante de nos vies.

Jean-Guillaume Leroux, artiste, quitte la peinture pour se consacrer au numérique. Intéressé par la matière, il articule le médium et cet outil sur des cartes mères sur lesquelles sont gravés ses dessins. Il est actuellement en quête d’une légitimité pour être exposé et produire davantage.

Ces artistes financent leurs œuvres soit en autoproduction, ce qui leur laisse la liberté nécessaire à la création, soit en collaboration avec des boites de coproductions qui leur permet de s’alléger de certaines tâches administratives.

Pour clore ce moment, Florent Aziosmanoff, producteur et ancien directeur de la création au Cube, a parlé de son concept de Living art. Élaboré à partir de ses réflexions autour de la création numérique (empathie, réactions, interactions), il s’inspire du comportement du public face à une œuvre ou une création interactive pour créer. Basées sur l’intelligence et la vie artificielle, les œuvres de living art sont dotées d’un comportement autonome et sont sensibles à leur environnement. Living bijoux (living jewellery) est né suite à une master class en juillet 2014 dont Living Joconde est l’un des premiers prototypes. Ce bijou s’inspirant du camé réagit au travers de la figure de Mona Lisa aux émotions et à l’humeur générale de celui ou celle qui le porte. Le projet, pour l’instant au stade de prototype, fut présenté pour la première fois à Futur En Seine en juin 2015. Il devrait être développé sous condition de financement et pourquoi pas envahir le mur aveugle à proximité du Louvre.

Du Living art au Living Lab

En fin de matinée, Laurence Battais et François Millet ont présenté l’approche Living Lab. Tout comme cette journée, les Living Labs sont basés sur les échanges et la réflexion collective. Ils mobilisent des compétences plurielles ou spécifiques autour d’un projet. Chaque projet doit être documenté et est basé sur le modèle CSA : Connaissances, Social, Affaires.

Le Living Lab de la Cité des sciences de Paris fait parti du réseau Inmediats avec d’autres Living Labs de centres de sciences. Ils sont implantés dans des structures aux statuts différents, certains sont dans des associations, d’autres comme pour la Cité des sciences dans un EPIC. Pour se lancer, ils ont été financés par les Investissements d’Avenir.

Institutions, une adaptation nécessaire

En début d’après-midi, c’est au tour des institutions publiques de parler des moyens mis en œuvre par leurs structures et de leurs problématiques.

L’art numérique regroupe des projets hybrides, transversaux, et de formes variables qui rendent sa catégorisation difficile. En réponse à ce problème, les institutions publiques tentent de mettre en place des espaces d’aide à la création qui intègrent cette transversalité. Ainsi, le Ministère de la culture et de la communication offre différentes aides :

  • Aide à la création
  • Aide à la production
  • Aide à l’écriture

Parmi ces institutions, certaines sont en pleine mutation pour accueillir les arts numériques comme par exemple l’Aide à la Création Multimédia Expérimentale.

Cependant, notre contexte économique fait que ces aides diminuent. On voit apparaître de plus en plus de festivals, manifestations et événements qui viennent en aide à la création et à la diffusion. Le crowdfunding est également étudié comme une solution de financement pour ces projets. Désormais, la création est soutenue par plusieurs structures.

Du point de vue local, la région Rhône-Alpes a lancé une concertation pour démocratiser l’accès à la création, accompagner les artistes et les collectifs et soutenir leur création. Un fonds de soutien a été créé pour aider les projets de la région : le SCAN, Soutien Création Arts Numériques. Peu d’artiste en font la demande et ce sont parfois les institutions qui les poussent dans leurs créations.

Malgré les moyens mis en œuvre, de nombreuses questions restent en suspens : Faut-il faire du lobbying pour aider la création ? Y aurait-il également un déficit de création ? etc.

Art numérique : marché, entreprise, commanditaire

Pour aider les artistes dans la diffusion, l’exposition et la vente de leurs œuvres, le point de vue du marché de l’art et de la créativité numérique a été abordé avec Vanessa Quang (galeriste) Abdel Bounane (président de BRIGHT), Gérald Dierick (responsable de département Digital Event chez A.E.D.) et Martin Lambert (responsable Laboratoire Arts et technologies, Stereolux)

À la fois curateur⋅trice⋅s, diffuseur⋅se⋅s, et parfois assimilé⋅e⋅s à un⋅e parent⋅e pour leur rôle de conseil et de protection, les galeristes accompagnent les artistes dans leur visibilité. Vanessa Quang remarque que pour le marché de l’art, la problématique récurrente est qu’il est difficile de définir les œuvres, surtout lorsque leurs techniques mixent à la fois l’art traditionnel et l’art numérique.

Favorisant également la visibilité, BRIGHT est une plateforme d’exposition et un studio de production pour les arts numériques. Elle met en relation artistes et entreprises grâce au catalogue en ligne. Il est possible de choisir les œuvres en fonction du lieu où elles seront présentées, l’occasion, le calendrier… elles sont filtrables par différents critères : couleurs, formats, logistique nécessaire…

Quant à Stereolux, association culturelle nantaise, elle développe trois niveaux de collaboration entre les artistes et les entreprises :

  • des temps de réflexion et de débats,
  • des rencontres entre artistes et entreprises en vue d’un projet artistique,
  • de l’innovation et des recherches en vue d’expérimenter sans pour autant aboutir à la création d’une œuvre.

D’un point de vue plus global, AED (Art Extended Digital ou Art En Direct) développe l’art contemporain pour les entreprises, qui met en lumière aussi bien l’artiste que l’entreprise. De cette manière, les sociétés peuvent s’approprier l’œuvre et le discours qui lui est associé. Cette démarche soulève plusieurs questions, notamment : Comment percevoir cette pratique ? S’agit-il d’ingérence ou de réappropriation ?

Cette journée se clôt avec un florilège de questions comme celle de la relation entre l’art et la communication ou celle de la rencontre entre les artistes et les entreprises. Dans tous les cas, toutes les parties tombent d’accord pour dire qu’il faut faire attention à ce que l’entreprise qui finance n’influe pas sur la création.


Cette journée pilotée par Geneviève Vidal fait suite à la recherche menée par le labSIC « Net Art et autoproduction. Acteurs et enjeux de la recherche : reconnaissance, créativité et industries du numérique » Rapport de recherche, Labex ICCA


Alexandra Vallaude

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