Le Living Lab, paradis pour chercheuse en quête de participant·e·s

Durant les vacances de printemps, la chercheuse Delphine Soriano a proposé au public du Carrefour Numérique² de participer à sa recherche dans le cadre de la démarche Living Lab. Les volontaires avaient la rude tâche de jouer à un jeu vidéo puis de répondre à un questionnaire, une expérimentation dont l’objet réel était de mesurer l’engagement des joueur·se·s selon le design de l’avatar.

Vous avez neuf niveaux à passer, à la fin, appelez-moi et je vous passe le questionnaire. Voilà pour toute explication ce à quoi aura droit le monsieur qui s’est porté volontaire pour « [play]tester un jeu vidéo dans le cadre d’une recherche scientifique » dans la petite salle dotée pour l’occasion de trois postes austères, isolés les uns des autres par des paravents. Après quelques ouh lou lou et autres soupirs de soulagement marquant la fin d’un niveau, le questionnaire rempli, Delphine Soriano, la thésarde qui mène l’expérience durant les vacances de printemps au Carrefour Numérique², demande au testeur son ressenti. Il est ravi, malgré ses difficultés à manier le jeu : Je suis nul en pilotage ! J’ai toujours détesté le slalom ! La jeune femme le rassure, et surtout lui dévoile l’objet réel de l’exercice, comme pour tou·te·s les volontaires : il s’agit en fait d’évaluer l’engagement des joueur·se·s en fonction du design de l’avatar. Trois prototypes ont été conçus avec un avatar différent. La mesure de l’engagement se fait de deux façons, détaille la chercheuse : Le questionnaire permet de tester de façon subjective. Nous générons aussi un fichier qui permet d’analyser le comportement, c’est une mesure plus objective.

Delphine a découvert le jeu vidéo lors de sa première vie, quand elle travaillait dans le Web design. Après des études à l’École nationale du jeu et des médias interactifs numériques à Angoulême (ENJMIN), une école du Cnam, elle a rejoint le monde de la recherche, au sein du Centre d’étude et de recherches en informatique et communication (Cedric). Sa thèse porte très exactement sur « l’évaluation de l’engagement du joueur et du character design dynamique de l’avatar », nom de code F.E.A.R pour Feedback, Engagement, Avatar & Realism, précise-t-elle. Elle part de l’hypothèse qu’un avatar abstrait participe de l’engagement. Ses investigations touchent à la phase finale, après quatre années de travail, et ce dispositif informatique sera intégré dedans.

« Un protocole d’expérimentation de qualité »

Une première collaboration avec le Carrefour Numérique² sur l’évaluation de serious games l’avait convaincue qu’elle tenait là un bon partenaire : Le Living Lab m’apporte un protocole d’expérimentation de qualité : une salle où l’on peut s’isoler, du prêt de matériel, des animateurs disponibles qui ont de l’intérêt pour le projet, cela met un dynamisme extraordinaire !, s’enthousiasme-t-elle. Surtout, le lieu apporte une denrée rare pour les chercheur·se·s : des volontaires intéressant·e·s de son point de vue. Le public compte déjà des gamers, j’en trouvais déjà à l’ENJMIN, mais ce sont tous des étudiants, détaille-t-elle. A mi-parcours de sa résidence, elle a déjà vu passer 75 personnes (sur un objectif d’une soixantaine) d’un profil varié, à l’image du public de la Cité des sciences, qui ont accepté de prendre une grosse demi-heure de leur temps. J’ai rarement eu une aussi bonne expérience, renchérit Raphaël Robert-Bouchard, un étudiant en fin de formation qui lui prête main forte. Les gens viennent d’eux-mêmes, ils sont avenants. Depuis le début, peu ont arrêté le test en cours, indique Delphine.

Être payé·e en soda et biscuits n’est pas un repoussoir : C’est une opportunité pour la science d’être avec le public, se réjouit Tiago, tout juste sorti du test. Cela permet de mieux expliquer ce que les joueurs préfèrent, renchérit sa compagne Céline. Quant à notre testeur du début, qui est passé par le Cnam, il trouve l’idée excellente, j’ai déjà été testé deux-trois fois par des labos, on était dedans, là c’est plus convivial. Et puis franchement, c’est amusant ! Sûr que s’il avait fallu tester des cornichons, les candidat·e·s ne se seraient peut-être pas autant pressé·e·s.

Un apport de crédibilité

Ne pas courir après les volontaires est un soulagement bienvenu en cette fin de thèse, alors que la fatigue s’accumule. La seule création des jeux a demandé deux à trois mois de travail bénévole d’une équipe, précise Delphine, qui tient à tous les citer : Katia Luthi, William Dyce, Romain Barthelemy, Fabien Bourlier, Mathieu Lagadec, et elle bien sûr. Créer ex nihilo un jeu est la solution la plus simple, explique-t-elle, car le code source des jeux existants n’est pas disponible, et quand bien même il le serait, il faudrait trop de modifications pour l’adapter à l’objet de la recherche.

Les tests eux-mêmes sont aussi plus fatigants qu’il n’y paraît : il faut faire attention de bien dire la même chose à chaque fois, pour respecter le protocole, vérifier que le questionnaire est bien rempli de A à Z, le rentrer dans l’ordinateur au fur et à mesure.

Quant aux retombées concrètes – la question qui revient souvent à propos des thèses -, Delphine évoque le travail d’une thésarde sur le serious game et la santé qui s’est concrétisé sous forme de jeu thérapeutique pour seniors atteints d’Alzheimer. Le Carrefour Numérique², lui, se réjouit de la présence d’une chercheuse qui apporte de la crédibilité sur le domaine du jeu vidéo, de même qu’avec le Play Research Lab qui est venu la semaine dernière, explique Thierry, médiateur, le jeu vidéo faisant partie de leurs grands axes de développement. On peut parier que le bon plan va circuler parmi la petite communauté des chercheur·se·s sur le jeu vidéo.

Sabine Blanc

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