Makers et Fab Labs, le bilan d’un mouvement [2/3]

Tiraillé entre une volonté de garder sa marque contre culturelle et une institutionnalisation galopante, le mouvement maker est en pleine mutation et se cherche encore un avenir à travers les Fab Labs.

Précédemment : retour aux sources.

Le Fab Lab à la française

Si les hackerspaces et Fab Labs ont tous émergé à cette époque, ça n’est pas un hasard. Tout est lié à l’émergence du monde numérique. Pour Valérie Dagrain, ingénieure en intelligence économique et spécialiste des logiciels libres et des hackerspaces, le mouvement maker correspond à un ré-équilibrage et une réappropriation face à une distance dans l’accès aux savoirs et les différents besoins de bricoler. Quand on discute avec les animateurs de makerspaces de première génération, ce sont des garages numériques qui avaient besoin de lieux coopératifs, des télétravailleurs qui avaient besoin de se fédérer. C’est de là qu’est apparue aussi la notion de co-working. Si le MIT n’avait pas lancé l’idée d’ouvrir les Labs universitaires, la nécessité de se réapproprier des lieux ou d’en créer pour bricoler aurait quand même émergé. En France le premier Fab Lab officiel apparaît à Toulouse en 2010. Peu à peu un réseau de tiers lieux se met en place, proposant aux bidouilleur·se·s des imprimantes 3D, des ateliers d’électronique et de programmation ou du matériel de récupération de laboratoire comme ce fut le cas pour la Paillasse. D’autres hackerspaces, comme le Artlab ou le Graffiti Research Lab, sont plus spécialisés dans l’art et le hacking urbain.

Photo par Ophélia Noor – CC-By-NC-SA.

Mais c’est finalement l’appel à projet (AAP) du ministère du redressement productif lancé en 2013 qui va lancer une montée massive des Fab Labs en France puisque leur nombre va doubler jusqu’en 2015. Pour le gouvernement, il s’agit d’une opportunité pour relancer l’innovation et l’économie qu’il souligne dans son communiqué de presse : Les Fab Labs sont un formidable accélérateur du décloisonnement entre les entreprises, la recherche, l’université, la citoyenneté, la culture, l’artisanat. La fabrication numérique collaborative permet de personnaliser des objets, d’offrir de vrais services de prototypage pour les entreprises, de réhabiliter les petites séries voire de pièces uniques. Elle redessine notre rapport à l’objet manufacturé. Comprenez ici qu’en plus d’ateliers numériques ouverts à tou·te·s, l’État y voit une opportunité pour financer la « french tech » et voir l’éclosion de start up prometteuses.

Bien que ce coup de pouce de 2.2 millions d’euros va lancer l’ouverture de Fab Labs, elle va aussi être à l’origine de grosse dissension au sein de la communauté des hackers-makers. Il y a eu un énorme malentendu à propos de cet AAP qui a été un vrai traumatisme pour le mouvement maker en France explique David Forgeron, chargé de projet au Carrefour numérique². En effet, il était spécialement orientée vers des structures proposant des services en direction d’entreprises alors que la majorité des Fab Labs installés ou en devenir ayant répondu à cet AAP n’étaient pas spécialement à destination de professionnels. Il s’en est suivi de nombreux échanges acerbes entre les lauréats et certains candidats non retenus. Au final l’appel à projet profitera à la fois aux véritables Fab Labs qui ont pu gagner en crédibilité auprès des pouvoir public locaux, mais aussi aux « simili-Fab Labs » comprenant des ateliers communautaires et de prototypage payants ou des incubateurs de start up qui ont utilisé le terme de « Fab Lab » afin d’accéder à des financements sans forcément respecter à la lettre la charte définie de base. On parle alors de Fab Labs « commerciaux » ou bien alors de techshops, comme c’est le cas pour Usine IO, ou le FabMake de Nantes, qui s’est retrouvé validé dans l’appel à projet alors que leur idée s’éloigne bien du concept même du Fab Lab.

Photo par Gexydaf – CC-By-NC-ND.

Pour Evelyne Lhoste, chercheuse à l’unité de recherche Inra Sciences en société, qui a étudié l’apparition des premiers Fab Labs, ce financement d’ateliers numériques a permis une institutionnalisation silencieuse du hacking. Loin du côté underground des hackerspaces, ces nouveaux espaces deviennent des outils au service de l’innovation à la française tandis que ses fondateur·trice·s endossent parfois le rôle d’entrepreneur·se·s. En contrepartie, tout l’aspect contre-culturel et plus ou moins anarchique hérité du hacking tend à disparaître. Pas étonnant alors que les habitué·e·s des hackerspaces historiques voient souvent les Fab Labs d’un œil suspicieux. Pour Raspbeguy, rédacteur en chef du site #hashtagueule, les hackerspaces se différencient à la fois sur l’ambiance et sur le fond (politique) Pour moi dans le meilleur des cas on va au Fab Lab comme on va au café. On peut faire les même activités mais on reste une sorte de client. Et puis les hackerspaces sont souvent porteurs d’un message militant, voir hacktiviste. Il arrive qu’un hackerspace mène des actions porte ouverte, aille faire des installations de PC de récupération sous Linux dans des écoles, organise des install party où on soutient les « nuits debout » et autres manifestations.

La suite : La révolution attendra.

David-Julien Rahmil

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